On le savait impliqué dans le documentarisme militant à visée écologique avec We feed the world - le marché de la faim, on l'imaginait moins en pourfendeur d'un capitalisme libéral sans scrupules ni respect pour l'humanité. Or, Erwin Wagenhofer
* nous revient avec Let's make money, un film militant et politiquement engagé sur la nécessité d'une moralisation collective de nos économies prédatrices et irresponsables. Un brûlot sans complaisance et des plus indispensables actuellement.
* Erwin Wagenhofer est technicien de formation : diplômé de l'Institut viennois de Technologie TGM (Section Communication, ingénierie et électronique), il a travaillé ensuite au département vidéo de Philips-Autriche avant de devenir réalisateur, journaliste freelance et enseignant à l'Université d'Arts appliqués de Vienne. Il a signé des documentaires sur les bateliers du Danube, la ville de Vienne ou encore l'Europe 10 ans après la chute du Mur.LET'S MAKE MONEY
Un film d'Erwin Wagenhofer
Durée : 1h47Du développement durable à l'avenir de l'homme« Nous sommes au début de la plus grande crise économique de tous les temps, qui est auto-générée. Cela finira très mal, c'est ce que disent beaucoup de gens qui s'y connaissent mieux que moi. » Erwin Wagenhofer, réalisateur de Let's make money
Depuis quelques mois déjà, on sait l'ampleur de la crise que traverse l'économie mondiale et de plus en plus, montent de partout de légitimes et féroces critiques face au système international qui prévaut depuis près de trois décennies maintenant. Et c'est justement à la révélation de son organisation et de ses incroyables conséquences que s'attellent le documentariste autrichien. Sans changer sa méthode qui consiste à interroger et questionner des interlocuteurs impliqués, visés ou audités en tant qu'experts, ce dernier nous livre donc un bien noir portrait des ramifications de nos économies et de leurs influences sur l'homme, sa condition et son environnement. En effet, au gré de son investigation et de son montage thématique, Let's make money déconstruit un système reposant sur l'excès et la prise de risques mais face auquel aucune alternative ni régulation suffisante n'existe.
Parti pour être l'un des métrages que l'on montrera en exemple des dérives du système, Let's make money a la puissance informative et critique qu'avait eu avant lui, malgré quelques polémiques utiles, Le Cauchemar de Darwin. En effet, jouissant d'une liberté de ton qui n'est finalement que celle de ceux qu'il interroge et d'une mise en confrontation par le biais de cartons ou d'incrustations, le métrage qu'il signe dresse un constat alarmant et singulièrement édifiant des faillites et des incohérences de notre système économique. Ainsi, présente-t-il l'inéluctable mondialisation comme une chance de répartir la richesse mais stigmatise la récupération qui en a été faite au point de la transformer en instance de mise en concurrence mondiale des Etats, des sociétés et surtout des hommes. De plus, soulignant à profusion, le drainage par une minorité des richesses de tous et plus sûrement des plus faibles - Etat comme individu - Let's make money propose un discours sur la crise actuelle particulièrement éclairant et impactant.
Le primat de la vérité cinématographique sur les discours médiatiques lénifiantsSans mauvaise foi et toujours assuré dans ces affirmations et ses exemples, Let's make money se veut constat mais aussi bilan d'une situation sur laquelle on peut tous peser si l'on se met enfin à ne plus croire les intérêts les plus importants et leurs voix mensongères et incitatrices. En effet, en s'appuyant sur divers exemples (le statut des îles anglo-normandes comme Jersey, la situation du Ghana pillé par les multinationales ou la crise immobilière et spéculative en Espagne...), le documentaire d'Erwin Wagenhofer est certes dur et sans concessions mais surtout il invite à une saine réflexion. Et cette dernière se veut aussi collective que portée par les logiques bien connues d'un développement aussi raisonné que durable.
Recroisant de fait des problématiques traitées dans Notre Pain Quotidien, We feed the world - le marché de la faim ou Herbe, ce dernier film agit comme une vaccination politique et citoyenne sur son spectateur. L'incitant à reconsidérer nombre d'acquis et d'évidences, il lève ainsi le voile sur des pratiques discrétionnaires et scandaleuses qui font que moins de 3% des hommes de la planète s'enrichissent au détriment des 97% d'autres. Avec en point d'orgue, une statistique ahurissante, celle de l'évasion fiscale qui à elle seule représenterait 250 milliards de dollars une fois imposés les 11,5 trillions de dollars cachés dans les paradis fiscaux. Paradis dont raffolent d'ailleurs ceux et celles qui profitent d'un système inique qui minimise leurs risques, tout en maximisant leurs profits et les sommes que devront débourser l'homme de la rue pour pallier à l'égoïsme follement coupable de quelques-uns.
Véritable oeuvre de salubrité économique et publique, Let's make money est malgré des défauts liés au genre, le plus impressionnant ouvrage cinématographique sur la question en cette période de marasme. Ainsi, en dépit de son opportunisme inopiné, le dernier film d'Erwin Wagenhofer semble prédestiné à connaître un succès considérable mais surtout il mérite d'être salué. Pour les questions qu'il pose, le constat insensé qu'il dresse et les solutions que l'on doit trous trouver afin de voir notre monde changer. Essentiel, ravageur et inspiré par une intelligence rare en ces temps de propagande politique, Let's make money est à voir impérativement.
Article rédigé par Jean-Baptiste Guégan pour dvdrama