14 mai 2009
“A chaque entretien, on me fait le coup de la crise”
Les deux jeunes diplômés que j’ai rencontrés en sont persuadés : la crise est aussi un prétexte. Ils ne se connaissent pas, mais leur situation est très proche. Tous deux viennent à l’épicerie sociale alors qu’ils ont reçu leur diplôme du supérieur en juin 2008. Depuis, la crise semble compromettre tous leurs espoirs. Tous les deux tiennent également à rester anonymes. Pas question de compromettre une seule chance de trouver un emploi en témoignant de leurs difficultés.
Elise B. a 23 ans. Diplomée d’une école de commerce, elle pensait son avenir à peu près garanti. Elle réussit à décrocher un CDD dans une institution culturelle publique, juste après son diplôme, “avec une promesse de CDI à la clef”, affirme-t-elle. Mais, arrivée fin 2008, la promesse de CDI s’est envolée. “Ils m’ont avancé toute sorte d’arguments : les budgets 2009 en baisse, une réorganisation, et même la crise, alors qu’il s’agit d’un institution publique” s’amuse-t-elle, amère : “Je sais de source sûre qu’ils m’ont remplacée par un stagiaire.”
Pétillante, et sûre de son diplôme, elle pense retrouver un travail dans les quinze jours. Elle déchante vite. Son espoir de travailler dans le secteur culturel est rapidement abandonné. “J’ai adopté la stratégie de la pyramide, plus les mois passent, plus j’abaisse mes prétentions de secteur, de salaire et même de lieu de travail, je suis allée passer des entretiens en province pour des postes sous-payés, sans succès.” Et avec le chômage les difficultés s’accumulent. Elise reçoit encore 700 euros des Assedic, mais fin juillet tout s’arrête. Elle vit toujours chez sa mère, en arrêt longue maladie depuis plusieurs années, qui touche 1 000 euros par mois d’indemnités.
Et de l’autre côté de la balance, les charges s’accumulent. Le crédit nécessaire au financement de ses études ? 10 000 euros à rembourser soit 400 euros par mois pendant trois ans, et la banque refuse de rééchelonner les traites. Le loyer de leur deux-pièces et demi ? Il est passé de 450 à 600 euros en janvier. L’organisme HLM a prétexté des travaux de réfection de la chaudière et une réévaluation des charges de 2008. “Mais le chauffage marche encore super mal”, s’énervent-elles.
Face à ces difficultés, Elise et sa mère ont franchi pour la première fois la porte d’une assistante sociale cet hiver. C’est elle qui les a orientées vers l’épicerie sociale. “Toutes ces démarches ont été extrêmement difficiles à accomplir, nous n’avons jamais eu besoin d’aide jusque-là, nous venons d’un milieu plutôt aisé.” Lorsque je leur parle des Restos du cœur, elles s’étonnent même de pouvoir peut-être en bénéficier. “Ce n’est pas pour nous, il y a des gens plus en difficulté” affirme Elise, et, avec ses problèmes de santé, sa mère doit de toute façon suivre un régime très strict, qui lui interdit la plupart des produits préparés ou en conserve. “Je ne me vois pas faire mon tri dans les rayons du Resto du cœur, je serais trop gênée” affirme-t-elle.
Devant tant d’obstacles, je leur demande quand même si elles voient une porte de sortie dans un avenir proche. “Pas vraiment. Au Pôle emploi, ils nous disent simplement d’attendre que l’économie redémarre” lâche Elise. Alors en attendant, elle entreprend diverses activités non rémunérées dans son domaine d’activité, pour ne pas perdre la main “et pour ne pas dire lors des entretiens que je ne fais rien depuis des mois”. Malgré tout souriante, elle semble avoir encore la force de se battre pour quelques mois. Mais si la crise dure plus longtemps ?
Ahmed F. a 28 ans et est diplômé d’un master de droit et relations internationales. Normalement pas une filière chômage. D’ailleurs, en janvier 2008, plusieurs entreprises assurent qu’elles seront prêtes à l’embaucher une fois son diplôme en poche. En juillet, il se tourne donc naturellement vers elles. Mais les promesses ont là aussi disparu. A la rentrée, c’est encore pire. “A chaque entretien, on me fait le coup de la crise.” Alors Ahmed pose une demande de RMI. “J’étais honteux, mais l’assistante sociale m’a dit qu’il fallait que je vois ça comme un prolongement de ma bourse d’étudiants.”
Depuis, Ahmed a bien eu quelques entretiens, mais à chaque fois peu concluants. “Avec le dispositif des emplois jeunes, on pouvait au moins trouver du travail comme jeune diplômé”, vante-t-il. Pour vivre, il travaille également à droite à gauche, notamment en donnant quelques cours. Il espère que la mise en place du revenu de solidarité active, prévue pour juin, lui permettra de cumuler son minima social avec une activité officielle. Mais, en attendant, lui aussi doit venir à l’épicerie sociale pour se nourrir. Et comme il a du temps et n’arrive pas à se sentir totalement à sa place, il aide bénévolement Elsa Atiya, l’employée de l’épicerie.
Jean-Baptiste Chastand
Source :
http://crise.blog.lemonde.fr/2009/05/14/a-chaque-entretien-on-me-fait-le-coup-de-la-crise/