La zététique appliquée à l’ufologieExtrait : Par Éric Déguillaume pour l'Observatoire Zététiquehttp://www.zetetique.fr/index.php/dossiers/288-zetetique-ufologie(...)
L'ufologie étant un domaine vaste et complexe, l'outil de vulgarisation de la méthode scientifique que constitue la zététique y trouvera un terrain d'essai pour le moins stimulant. Mais comment, au juste, l'y appliquer ? Comment réussir à bâtir un semblant de savoir collectif et aller au-delà de la simple opinion personnelle sur des bases aussi mouvantes en apparence ? Pour y voir clair dans le gigantesque corpus de témoignages, mais également dans la surabondante littérature, électronique ou non, qui les entoure, il est nécessaire de procéder par étapes.La première d’entre elles est la recherche de bases épistémologiques : il s’agit de déterminer quels sont les fondements logiques de la démarche zététique qui vont nous être utiles pour aborder le problème. Il incombe en effet d’éviter de baser tout notre raisonnement sur des prémisses erronées, faute de quoi les conclusions qu’on pourrait en retirer risqueraient fort d’être fausses elles aussi. C’est un préalable indispensable pour quiconque désire réellement produire un savoir objectif sur la question des ovnis, sans rester bloqué sur des spéculations indémontrables.
La seconde concerne la méthodologie pratique à adopter, en commençant par la définition de l’objet d’étude. Viennent ensuite, les diverses techniques à mettre en œuvre pour réduire la subjectivité des témoignages – inspirées de la démarche des sciences de l’homme – ainsi que celles permettant de tester les différentes hypothèses en présence, jusqu’à la formulation de conclusions sur un cas donné.
La troisième, aboutissement logique des deux précédentes, consistera à se demander s’il est possible d’apporter une conclusion générale à un phénomène aussi vaste. Diffusé en France à partir de la fin des années 1970, le « modèle réductionniste composite » s’avère fort pertinent dans cette optique, étant à la fois vérifié à de nombreuses reprises sans pour autant évoquer de phénomène encore inconnu à l’heure actuelle.
Bases épistémologiquesLe principal problème que pose l’ufologie au zététicien non averti est le suivant : entre toutes les choses qu’on peut lire sur le sujet au fil d’Internet, humanoïdes reptiliens de la planète Nibiru infiltrés au sein du gouvernement, « petits gris » mutilateurs de bétail ou encore phénomènes triviaux mal interprétés – la liste est non exhaustive, mais à peine caricaturale – comment distinguer le vrai du faux ?
Le fait est que nous ne connaissons pas à 100% l’univers qui nous entoure et que nous ne le connaîtrons probablement jamais ; on peut donc, du moins en théorie, tout imaginer. Mais quand on lit « tout imaginer », cela implique tout… et son contraire. Ainsi, il est possible qu’un ovni bien particulier rapporté par des témoins soit un vaisseau spatial piloté par des extraterrestres, tout comme il est possible qu’il ne s’agisse que d’un astre, observé dans des conditions particulières et mal interprété – mais ce ne peut pas, en revanche, être l’un et l’autre à la fois.
Dans ce cas, si tout est possible, tout ne peut pas être : il faut donc démontrer positivement l’existence de ce qui est, puisque démontrer l’inexistence de ce qui n’est pas est impossible. A la base de cette idée figure une logique simple, fondée sur le principe suivant : « l’absence de preuve n’est pas preuve de l’absence ». Pour illustrer ce concept, on rappellera ici un exemple bien connu des zététiciens, celui des corbeaux blancs. En effet, pour prouver que les corbeaux blancs n’existent pas, je devrais parcourir la Terre entière dans ses moindres recoins, et ce simultanément pour m’assurer que l’espiègle volatile albinos ne se soit pas montré ailleurs lorsque j’avais le dos tourné. Pour faire cela, il me faudrait être omnipotent, omniprésent et omniscient, toutes caractéristiques évidemment hors de ma portée. Que je n’aie pas de preuve de l’existence des corbeaux blancs ne signifie pas qu’il n’en existe nulle part. Par conséquent, en pareil cas, il sera infiniment plus simple de démontrer positivement l’existence des corbeaux blancs, en produisant un spécimen de cette espèce par exemple.
De ce raisonnement découle le principe de la charge de preuve : c’est à celui qui affirme l’existence de quelque chose d’en apporter la preuve. Dans le même ordre d’idées, on doit considérer que ce qui n’est pas démontré est inexistant par défaut. Si je partais du principe inverse, en affirmant par exemple, sans preuve, que les corbeaux blancs existent jusqu’à preuve du contraire, je me trouverais rapidement dans une impasse, étant justement dans l’incapacité logique d’apporter la démonstration qu’ils n’existent pas. Or, il est aussi possible qu’il n’y ait pas de preuves de l’existence de tels oiseaux tout simplement… parce qu’ils n’existent pas. Une véritable ouverture d’esprit oblige aussi à tenir compte de cette éventualité ! Dire « les corbeaux blancs n’existent pas jusqu’à preuve du contraire » est donc la seule posture qui englobe toutes les possibilités, y compris l’inexistence pure et simple. Évidemment, ce raisonnement fonctionne aussi en remplaçant « corbeaux blancs » par « visiteurs extraterrestres ».
Si, comme on l’a vu, toutes les possibilités sont théoriquement envisageables, elles ne sont en revanche pas toutes égales entre elles. Certaines sont vérifiables – c’est-à-dire qu’elles se basent sur des éléments ou des faits qui nous sont accessibles, ou qui peuvent être reproduits – et d’autres non. Supposons par exemple que deux personnes viennent affirmer l’existence des corbeaux blancs, l’une sans preuves, et l’autre avec un spécimen de l’animal. La première assertion sera invérifiable, donc irréfutable (...). Tandis que la seconde, elle, pourra faire l’objet d’une vérification : on pourra par exemple s’assurer que le volatile est bien authentiquement blanc, et non un pauvre corbeau ordinaire repeint par accident ou par malice. Ceci amène immanquablement à évoquer ce qu’on nomme la « réfutabilité » d’une hypothèse. Due au philosophe des sciences britannique d’origine autrichienne Karl Popper, ce critère est un de ceux permettant de déterminer si une hypothèse est scientifique ou non. Celles qui font appel à des éléments invérifiables ou ne pouvant être reproduits ne peuvent être considérées comme scientifiquement solides.
D’autres font appel à plus ou moins de conditions, ou de suppositions préalables, dans leur formulation. Typiquement, l’hypothèse voulant qu’une intelligence extraterrestre soit à l’origine des ovnis en nécessite un grand nombre : « si » il existe une vie ailleurs que sur notre planète, « si » il s’agit d’une vie intelligente, « si » elle a produit une civilisation technologique, « si » celle-ci est parvenue à voyager dans l’espace, « si » elle est contemporaine de la nôtre, « si » elle a trouvé le moyen de vaincre les énormes distances de l’espace interstellaire, « si » elle nous a trouvé dans l’immensité de l’univers… Elle est donc « coûteuse » car elle fait intervenir de nombreuses inconnues. En ce sens, elle va à l’encontre du principe d’économie d’hypothèse – encore appelé « rasoir d’Occam » – qui veut qu’en présence de deux explications, il convient de privilégier la plus simple, celle faisant appel au moins de suppositions, en premier lieu parce qu’elle sera généralement plus facile à vérifier et la plus probable – ce qui ne signifie pas obligatoirement qu’elle est la plus vraie.
De ce principe en découle un autre : « une affirmation extraordinaire requiert une preuve extraordinaire ». Cela ne signifie pas qu’un phénomène « paranormal » nécessite obligatoirement une preuve qui serait elle aussi « paranormale » (dans le cas des extraterrestres, une sonde en panne ou un spécimen observables suffiraient), mais plutôt qu’on n’attendra pas de ce genre d’hypothèse le même degré de preuve que d’une autre moins coûteuse. Prenons l’exemple de la « photo surprise » de Bar-sur-Loup (Alpes-Maritimes), prise en 2006 : dans la mesure où l’existence des pigeons est avérée et la présence de ces volatiles à proximité au moment où la photo a été prise l’est également, on ne demandera pas aux tenants de cette explication de la démontrer jusqu’à la moindre plume de l’oiseau. Au contraire, l’hypothèse faisant de « l’objet mystère » de la photo un vaisseau extraterrestre devra l’être bien davantage, compte tenu des incertitudes qui l’entourent et de ses implications sur nos connaissances et notre vision de l’univers. On parle aussi de « curseur de vraisemblance » pour désigner ce principe : plus la vraisemblance (aussi appelée « plausibilité antérieure » par certain sceptiques) d’une affirmation sera faible en regard de nos connaissances actuelles, plus elle devra être étayée pour être acceptée comme vraie.
Pour autant, peut-on dire qu’armé de ces principes épistémologiques, on pourra aboutir à des connaissances certaines ? Non. En science, on peut toujours douter de quelque chose, à cause de la subjectivité de l’observateur, ou d’un possible défaut d’instrumentation… Objectivité et certitude absolues n’existent pas : la démarche scientifique n’accouche que de conclusions valides seulement jusqu’à preuve du contraire.
Mais si cette objectivité est inaccessible, on peut en revanche s’en approcher. On doit donc s’appliquer à atténuer son contraire – c’est-à-dire la subjectivité – par une méthodologie adéquate, au même titre que dans un protocole expérimental en double aveugle, destiné à réduire la subjectivité de l’expérimentateur dans le recueil et l’interprétation des résultats d’une expérience, et dont la reproductibilité permettra de réduire les risques de biais liés, par exemple, à un défaut d’observation. (...)